jeudi 7 juillet 2005

Just a normal day... 

J'habite une bulle. A gauche une fenêtre, un rideau mi-fermé. De la lumière artificielle, le bruit des hottes, les murs épais, aucun contact avec le monde, dehors.
Ce matin à la pause café, que je ne prends d'ordinaire jamais, une fille arrive en disant "vous avez entendu, il y a eu des explosions a Londres !". "oui, oui" répond Dan. Mais tu ne m'as rien dit ? Ca fait 10 minutes qu'on mange un gateau au chocolat en buvant du café et en se moquant de Jacques Chirac, et tu ne m'as rien dit ??
"Non mais c'est rien".
Les murs épais, les rideaux mi-clos. "Ce n'est rien", d'accord, moi je crois ce qu'on me dit. J'ai confiance en Dan.
Je continue à compter mes graines en me dépechant, sans même passer faire un tour des informations, la to do list du jour est énorme, et l'activité frénétique dans ma bulle.
Pause déjeuner à la cafet. Je repose ma question, puisque j'ai levé les yeux de mes tubes, autant en profiter pour vérifier qu'au fait oui, c'est toujours rien hein. Y'a 2 morts qu'on me répond, donc oui, rien. Je regarde bizarrement, comme 2 c'est pas rien, mais bon, d'accord. Ca plaisante. Encore un coup des français aigris, Jacques vient de frapper. Je commence à trouver ça moyennement drole leurs conneries de plaisanteries, parce que si y'a vraiment 2 morts, ça ne me fait plus du tout rire en fait, mais chef nous rejoint et me parle science, puisqu'avec 2 mois de retard elle vient de finir par lire cette super-publi-de-la-mort-qui-tue-qu'il-faut-ABSOLUMMENT-que-tu-lises-chef, et elle est toute excitée. Et Londres est loin. D'ailleurs à travers la baie vitrée on aperçoit toujours un joli chateau et un ciel calme, alors autant parler boulot.
Et puis entre la clope et le retour aux graines, je regarde quand même les blogs des copains, parce que bon, je le vaux bien. Et puis quand même, il est dans sa banlieue, je ne suis pas particulièrement inquiète, et puis Dan l'a dit et re-dit, c'est rien. Mais pourquoi parle-t'il d'évènements alors ?
Informations. Ouvrir la lucarne d'internet dans ma bulle bien close.
Merde, c'est pas rien.
Merde.
Coup de stress. Il y a des gens que j'aime bien, ses amis à lui, et ils ne vivent pas en banlieue, eux. Où sont-ils ?
Impossible de retourner planter mes graines.
Je vérifie son blog. Toujours rien. J'y retourne. Est-ce qu'ils vont bien ?
J'ai oublié d'ouvrir mon email aujourd'hui, et je me sens tout à coup bien stupide, isolée dans ma bulle. Un message est là, il n'a pas oublié d'écrire un mot pour me rassurer malgré sa journée éprouvante.
Je reprends donc mes activités.
Le G8 est à quelques dizaines de miles, mais personne ne semble s'interesser au terrorisme dans ma bulle. Fran répète son talk, conférence la semaine prochaine. Chef continue à m'expliquer les magnifiques idées qu'elle vient d'avoir, les clones de mes idées d'il y a 2 mois, comme d'habitude. Elle avait peut-être écouté à l'époque, finalement. Ou pas.
Le labo se vide, le labmeeting de demain matin est en chantier, 1/6ème de ma to do list est barrée au stylo vert, et une fois n'est pas coutume, je regarde le JT. Pas encore le réflexe BBC, mon fond franchouillard choisi France 2 et Pujadas pour aller constater de mes yeux que si ce n'était pas "rien", c'était quand même "pas grand chose" hein, personne n'a hurlé ici, alors ça ne pouvait définitivement pas être si grave, hein ?
Erreur. Ou horreur. Des images que je suis heureuse de ne pas avoir vues avant de savoir que tout le monde allait bien, très égoïstement. Et ce con de Pujadas est "surpris par le flegme des britanniques". Serait-il possible d'éviter les clichés à 2 balles ce soir ?
Mais il doit finalement avoir raison. Dans ma bulle, aujourd'hui, pas un seul caillou n'a ricoché sur le blindage pour m'avertir qu'il se passait vraiment quelque chose. Alors que j'habite au Royaume-Uni.
Alors je me demande, les miens, mes anglais du labo à moi, sont-ils tout simplement particulièrement flegmatiques, ou juste totalement et cruellement indifférents ?
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