jeudi 7 avril 2005

Low self-esteem. 

Je crois que je me souviens encore du soir où c'est arrivé. C'était un vendredi il me semble, et j'étais enfermée dans le labo du fond, avec ce vieil oxygraphe tout pourri qui m'avait été pourtant gentiment prêté par les responsables des TPs de licence-maitrise.
Plusieurs semaines que j'essayais toutes les possibilités.
D'abord il avait fallu convaincre mon Marcel que l'idée de Pierre était bonne, que non, utiliser un oxygraphe, même pas peur, que j'en avais mesuré des tonnes, des échanges d'oxygène, sur des cubes de patate, des morceaux d'épinard, des rondelles d'Arabidopsis, des mitochondries... et ce depuis mes plus jeunes années universitaires.
Idée acceptée, il avait fallu trouver la bête, et surtout finalement se rappeler comment ça marchait, une électrode de Clark. Réussir à monter une membrane, à calibrer le putain de truc, demander et re-demander de l'aide, interdire à qui que ce soit de sauter à pieds joints à coté de la paillasse, enfin surtout à moi-même, et ce malgré la radio.
Et depuis la première joie d'enfin voir mes membranes respirer, je pataugeais.
Ce soir là, après avoir ajouté ma PQ -idée géniale de mon Marcel-, la seringue à peine rincée, je regardais négligement l'enregistreur graphique en n'espérant pas grand chose de plus que la platitude habituelle post-cyanure.
Alors quand la plume a semblé prendre une autre direction, je n'y croyais pas. Du tout. Encore une perturbation à la con.
Mais en me levant d'un bond, j'ai observé l'encre noire sur le papier orangé, en me disant "mais putain... mais merde eh ça marche !".
J'ai passé un gros morceau de la soirée à re-essayer dans tous les sens, avant le cyanure, après le cyanure, après le nPG, et sur le contrôle, et, et... des mètres de papier orangé trainaient par terre, et je n'y croyais toujours pas.
Ce soir là, pour la première fois, j'ai eu l'impression de découvrir quelque chose. D'être une vraie chercheuse.
C'est à cette sensation là que je me raccroche à chaque fois que je me sens démotivée, à chaque fois que mon moral baisse, quand j'ai l'impression de n'être rien et de n'avoir jamais produit que du vent.
La fonction de cette protéine là, c'est moi qui l'ai prouvée, j'étais seule devant mon oxygraphe, et ça personne ne pourra jamais me l'enlever.
Enfin je croyais.
Quelqu'un vient de réussir à écrire un joli papier sur "ma" protéine sans me citer une seule fois.
6 papiers qui en parlent.
6 papiers quand même un peu majeurs, enfin je croyais.
6 papiers que pubmed affiche sans sourciller, avec des mots-clefs tous bêtes.
6 papiers avec mon nom dedans.
Pas un seul dans sa liste.
A peine la petite revue que Marcel a fait l'an dernier dans mon dos.
Et c'est tout.
Je ne suis plus rien.
Ca ne devrait pas vraiment me toucher, c'est ridicule. Je suis ridicule.
Mais on m'a volé mon grand moment, et j'ai un gout amer dans la bouche. Et je ne sais plus pourquoi je fais ce métier. Et j'ai juste envie d'envoyer un email à ce grand monsieur dont j'ai pourtant lu toutes les publis ou presque, que j'ai systématiquement cité, que j'ai toujours idolatré, dont j'ai bu les paroles, qui m'a accompagné partout, de mon lit aux WC, en passant par mon bureau ou mes balades en Chartreuse, qui m'a donné des moments de joies intellectuelles énormes, et des maux de têtes tout aussi intenses.
J'ai juste envie de lui envoyer un email pour lui dire que c'est quand même pas bien malin de faire pleurer une postdoc dans son labo tout sombre.
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