dimanche 6 mars 2005

À tout casser... 

Je vais rouler le plus longtemps possible sans mettre mes lumières...la nuit ne me verra pas venir... *
Une nuit, sur l'autoroute entre Chambéry et Grenoble, j'ai essayé. Je me souviens il pleuvait doucement, et pour une fois le vent ne me faisait pas peur. Était-ce avant ou après mon accident ? Je crois bien que c'était après, ce qui est encore plus stupide. L'inconscience est excusable, pas la bêtise.
Ça n'a duré que 5 secondes, peut-être même moins, et je n'ai pas tremblé, malgré l'adrénaline. Ni paniqué malgré ma trouille quasi-incontrôlable de l'autoroute. Je ne sais toujours pas pourquoi j'ai voulu éteindre mes phares.
Si je veux je peux.
Adolescente attardée.

Tuture, RIP Un samedi matin, à l'heure d'aller faire ses courses au supermarché, j'ai perdu le contrôle de ma voiture. Sur la rocade de Chambéry. A quelques kilomètres de chez mon frère. Alors qu'un rendez-vous galant avec son meilleur ami m'attendait à la frontière suisse. Alors que je me croyais indestructible au volant de ma 205 sport. Alors que je roulais à 140 même si la loi me limitait à 110. Alors que je n'avais pas vérifié mes pneus vétustes. Alors que je sortais à peine du tunnel des Monts. Un peu avant, un peu après, l'issue aurait été différente. Comme un éléphant qui s'en va au cimetière, ma fidèle voiture adorée et vénérée a choisi l'instant parfait pour m'abandonner. Son pneu qui éclate, cette courbe qu'elle refuse de suivre, mes yeux qui se ferment, le bruit, l'attente, la résignation, pas une once de peur, puis le silence, l'horrible silence qui rend l'attente du crash tout à coup terrifiante, le choc arrière qui finalement n'arrive pas, les yeux qui s'ouvrent sur un paysage de rocade tout à fait banal, mais ralenti, mais flou, mais pourquoi est-ce que je n'y vois rien. Un homme crie. "Avez-vous un bébé ? Avez-vous un bébé ?". Non, il n'y a que moi, et tout à coup mes tremblements et mes larmes. Merde je crois que j'ai eu très peur. Sortir de la voiture, voir le pare-brise posé là, contre la rambarde de sécurité, même pas en mille morceaux. Un homme dans un camion me tend son téléphone. Appeler le rendez-vous galant en pleurant. Qui à son tour préviendra le frangin en colère. J'ai cassé son ancienne voiture. Mes affaires éparpillées sur plusieurs dizaines de mètres. "Oh regardez, j'ai retrouvé Monsieur Nounours !". Merci. Continuer à pleurer. Se sentir stupide. Avez-vous vu mes lunettes ? Et mon porte-feuille ? Traverser. Croiser le regard d'une fillette qui me fixe avec horreur. Oh, du sang dans mon décolleté. La brûlure de ma ceinture, de la peau qui s'est fait la malle, rien. Je tremble, j'ai froid, je refuse le manteau qu'une femme souriante me tend. "Je vais bien, ne vous attardez-pas, je ne veux pas vous déranger". Un camion rouge qui arrive. Un pompier à la répartie flamboyante. "Sans votre ceinture vous auriez eu la face écrasée ma p'tite demoiselle !" Sirènes. Où m'emmenez-vous ? Hôpital de Chambéry. Ne pas bouger, c'est interdit. Mais je voudrais appeler, donnez-moi un téléphone. S'il vous plait. Radios, vous n'avez rien. Quelle chance ! Gendarme, rassurant, réconfortant, larmes de soulagement. Washoe m'attend, nous sortons, j'ai un truc bleu autour du coup. Et la peau qui picote. Et plus de voiture. Et la trouille du frangin. Qui arrive, qui prend en charge, qui parle au garagiste, qui fait la morale, qui a le regard sombre et fatigué. Voiture vidée, épave abandonnée dans la boue d'un garagiste savoyard, ma liberté à moi envolée. Retour à Grenoble avec le rendez-vous galant, qui deviendra donc un chéri à la faveur du traumatisme. Je sais si bien me laisser faire.
L'odeur de caoutchouc brûlé et la peur panique des courbes et du vent sur l'autoroute, c'est tout ce qui m'en reste.
Et la vie.

Alors éteindre ses phares. Pour quoi faire.
Mais grandis bordel !
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