jeudi 13 janvier 2005

Tout va bien... 

Je connais peu de gens qui comprennent réellement ma façon de vivre, et les montagnes russes qui y sont associées; qui acceptent sans tiquer que je travaille la nuit, et puis le jour aussi, et puis le WE aussi finalement; qui approuvent mon inefficacité au quotidien, compensée par plus de présence au labo, mon hyper-activité fébrile lorsque les résultats semblent approcher, l'anxiété qui me fait tout freiner et remettre au lendemain alors que le résultat n'est plus qu'à une PCR.
A moins de faire soi-même partie de la secte, comment comprendre l'angoisse du trans-illuminateur, la tension lorsque les UV s'allument, le plus souvent immédiatement suivie d'un "roh non bordel de merde !!" rageur, ou parfois d'un "yesss !" soulagé, voire très exceptionnellement d'un "oh my god yesssssss !" limite orgasmique.
Et on se retrouve le nez collé à l'écran, à compter les lignes, des fois que ce soit une mauvaise surprise, sans utiliser les doigts pour éviter les traces d'ethydium sur l'ordinateur, et puis avais-je vraiment mis le wt en première ligne ? Et mon contrôle c'est lequel ? Alors on imprime et on retourne à sa paillasse pour vérifier le lab book, où tout a été numéroté avec soin, parce qu'on sait très bien que non, si ce n'est pas écrit on ne s'en souviendra pas. Et on vérifie, une fois, deux fois. On trépigne. Roh merde ça a marché alors, c'est donc bien vrai. On montre une pauvre photo toute moche à la première technicienne venue, qui, gentille, nous donne son plus joli sourire, en disant "oh that's great Eve, well done !". Oui, en même temps moi j'ai pas fait grand chose hein, c'est ma Taq chérie qui a tout fait hein.
Et puis on laisse partir la technicienne, parce qu'en même temps là elle a peut-être pas envie de ré-entendre l'historique de la manip, après tout on lui a déjà tout dit 20 fois, sur ce gène qu'est peut-être surexprimé, qui est sûrement le bon, enfin.
Alors on se retourne vers sa paillasse, on prend son plus beau marqueur, et on remplit les lignes. On s'extasie. On re-regarde. On se demande ce que chef va dire. On décide de refaire, pour avoir un contrôle plus homogène. Moins de cycles, plus de cDNA peut-être, on verra. Pour l'instant toute réflexion est encore court-circuitée.
Et puis voilà, la redescente commence. L'excitation passée reste la satisfaction, et l'énergie en plus. Qu'il va falloir dépenser, et puis il n'est que 18h. Alors on se met à mettre des tuteurs à toutes les plantes du département, à ranger, organiser, vider, nettoyer, à enfin faire les 58 preps d'ADN génomique qui nous attendaient depuis lundi, à écrire ses résultats au propre.
Et tout à coup il est 2 heures du matin et comme la veille, l'avant-veille et même le dimanche précédent, on est encore au labo, entre Bénabar qui nous dit "Elle est pas belle la vie ?" et l'eau qui se met à chauffer dans la bouilloire. Parce que merde, il est tard, et on pourrait partir en courant, monter sur son vélo, et enfin aller dormir. Mais non, boire un thé, savourer, humer l'odeur du bureau, se sentir bien dans son élément.
Un jour ma maman m'a demandé si mon boulot était la chose la plus importante dans ma vie. J'ai dit oui. Elle m'a répondu "et bien je te plains".
Maman, t'as tord. Il est bien mon boulot tu sais...
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